Le Cercle Condorcet et la FAL du Puy-de-Dôme ont organisé à Clermont-Ferrand, les 23 et 24 mars dernier, les Rencontres régionales de la laïcité de l’URFOL Auvergne-Rhône-Alpes, sur le thème « Les fausses nouvelles dans l’espace démocratique », en partenariat avec le Centre d’histoire « Espaces et Cultures ».
Ce thème, choisi dès juin 2017, est plus généralement, celui de la relation entre laïcité et vérité.
La laïcité est une liberté, et comme condition pour exercer sa pleine autonomie de jugement, c’est-aussi une condition de la citoyenneté. En effet comment comprendre et vivre la laïcité, si on ne sait pas faire la différence entre ce qui relève de la connaissance issue de la seule Raison humaine et des faits, ce qui relève des croyances provenant d’on ne sait où, du Ciel, de traditions ancestrales, de préjugés tenaces… ; et ce qui relève des opinions qui ne sont que des hypothèses ou des préférences.
Comment agir et décider en citoyen autonome, si on ne sait pas, ou si on ne peut pas, distinguer le vrai du faux.
La laïcité protège les citoyens et l’Etat des dogmes religieux avant tout, mais la vie citoyenne n’est pas exposée aux seuls dogmes religieux ; dans l’espace démocratique, il faut se protéger de toutes les formes de dogmes, et à plus forte raison des falsifications délibérées.
Le problème posé par les « fausses nouvelles » choisi en raison de l’actualité récente, n’est donc en fait qu’une entrée dans le problème plus général des conditions d’exercice de l’esprit critique.
Mais qu’est-ce donc qu’une « fausse nouvelle »
La nouvelle, annonce d’un fait brut, synonyme de bruit ou rumeur, se distingue de l’information qui est une certaine présentation du fait dans son contexte, qui en donne ou permet une interprétation.
Une nouvelle peut être fausse soit par erreur involontaire, soit par volonté délibérée, par intention de tromper. Les expressions « nouvelle faussée » ou « nouvelle falsifiée » seraient de meilleures traductions de l’anglicisme « fake-news », très utilisé dans l’actualité récente.
Et la préoccupation, pour la démocratie, c’est bien la diffusion délibérée de nouvelles fausses, fabriquées avec l’intention de tromper l’opinion.
Des exemples récents inquiétants
Le phénomène qui s’est développé aux Etats-Unis, est inquiétant. La campagne électorale américaine qui a débouché sur l’élection de Trump, s’est déroulée au rythme de « fake-news » destinées à salir la réputation de l’adversaire, mais aussi à l’occuper à se défendre au détriment de l’expression de son programme et à détourner l’attention des citoyens de leurs intérêts réels et des objectifs politiques réels des candidats. Systématisée, cette technique transforme la campagne en une mascarade, le discours politique en une suite de slogans, insultes et accusations, visant les instincts les plus vils (racisme, sexisme, ..). La vérité factice qualifiée de « post-vérité » se substitue à la « vérité réelle ».
Cette dérive se poursuit après les élections, et on peut constater que les tweets de Trump tiennent lieu de décision pour l’Amérique et pour le Monde, tout en laissant une incertitude totale sur l’effectivité de ses annonces (qui hélas alimentent nos commentateurs zélés), tandis que le vécu réel des populations, la réalité sociale, économique et financière du pays sont livrés à des déterminismes qui ne semblent pas affectés par le choix de ce président plutôt qu’un autre !
♦En fait, aux USA, la fabrique de « fake-news » est devenue une industrie en soi, substituant la communication à la politique, et ce glissement est favorisé non seulement par l’exploitation des réseaux sociaux qui améliorent l’efficacité de la diffusion, mais par la bipolarisation (démocrates et républicains) qui pousse à traiter l’adversaire en ennemi à éliminer, et plus encore par une liberté d’expression absolue inscrite dans la Constitution américaine qui conduit au relativisme : tout se vaut…, on nous cache la vérité… ; tout ce qui arrive, tout ce qu’on nous dit, a été comploté.
♦Pour la Russie de Poutine, les « fake-news » sont utilisées en politique extérieure, principalement semble-t-il, comme instrument de guerre sur l’échiquier géopolitique : déstabiliser les démocraties occidentales, tenter de placer ses pions, montrer sa force…
♦En France, l’Internet et les réseaux sociaux constituent aussi un terrain de jeu pour les amateurs de théories du complot, ainsi qu’un moyen de véhiculer dans l’anonymat calomnies et idéologies toxiques (racisme, antisémitisme, salafisme…).
Un soupçon de faux et usage de faux
Pendant qu’on en parlait, les « fake-news » continuaient…
Dans le feuilleton du financement libyen de la campagne de l’ex-président N.Sarkozy, alimenté par les révélations de Mediapart, les démentis de l’intéressé, et le déroulement de la justice, un épisode crucial survenu le 23 mars a retenu à Paris Edwy Plenel directeur de Mediapart, qui devait participer à la table ronde, et qui a dû s’excuser.
Mais heureusement, il existe encore un service public de radio-télévision, une presse indépendante y compris numérique aux côtés de media d’opinion pas entièrement soumis aux pouvoirs financiers qui les possèdent.
Notre laïcité, qui implique le respect de la liberté d’expression et, beaucoup plus qu’aux USA, celui de la liberté de conscience, développe en chaque individu une capacité de résistance à la duplicité, ce qui limite l’ampleur et les effets du phénomène qui reste cependant un danger.
Au demeurant, le feuilleton des dernières élections présidentielles ou le feuilleton du financement libyen de la précédente campagne de Sarkozy, nous démontent que les « fausses nouvelles » d’un jour peuvent être reconnues vraies le lendemain : la volonté de protéger la démocratie ne doit pas risquer d’altérer la liberté et l’indépendance du journalisme d’investigation.
Est-ce un phénomène nouveau ?
Comme l’ont illustré les exposés des historiens au cours de la journée d’étude du 24 mars, les bruits et rumeurs ont été utilisés de tous temps. Comme moyen de manipuler l’opinion dans des opérations de propagande visant à rendre acceptable par exemple la guerre. Pour monter les populations les unes contre les autres par la fabrication de boucs-émissaires responsables des maux qu’on ne peut pas guérir. Pour combattre l’adversaire politique par discrédit et même accusation de crime.
Sans internet, sans réseaux sociaux, les rumeurs se répandaient néanmoins, de bouche à oreille sans doute, mais aussi par les moyens technologiques de l’époque, les bulletins et affiches transportés à vitesse de cheval, les crieurs publics, ou le télégraphe plus récemment… Et pour reprendre (perfidement) un trait d’humour de Jean-Luc Fray, non sans lien avec la laïcité, comment donc s’est répandue la nouvelle de la naissance de Jésus ? la « bonne nouvelle » n’était-elle pas qu’une « fake-news » ?
A quoi peut-on attribuer l’accroissement récent du phénomène
Internet et les réseaux sociaux ont évidemment permis un accroissement du phénomène du fait de la puissance et de la disponibilité des outils, et du fait de la rapidité de la diffusion, du fait aussi que la jeunesse est une cible particulièrement connectée et potentiellement réceptive.
Les « fake-news » concernent-elles seulement la politique
Evidemment non, le flot mediatique nous submerge d’annonces publicitaires pour promouvoir la consommation de produits qui n’ont pas toujours les vertus annoncées. Qu’il s’agisse de leur utilité, de leur performance, ou de leur prix d’achat. La communication à but commercial influence le consommateur mais peut aussi le tromper gravement. En matière commerciale, le mensonge par omission est une pratique courante qui peut parfois aboutir à des situations graves et d’autant plus scandaleuses quand elles ont été installées avec une complicité des pouvoirs publics trop longtemps cachée, qui menacent la santé publique, (exemple des pesticides), l’environnement (exemple du diesel), la morale (exemple des produits importés fabriqués sous esclavage).
Les « fake-news » ont-elles des effets avérés?
En matière économique, les effets désastreux des « fake-news » de propagande sont suffisamment évidents pour être reconnus. Mais il ne faut pas pour autant développer une méfiance systématique.
En matière politique, et pour les cas récents, aucune étude scientifique ne permet actuellement d’affirmer avec certitude l’impact des « fake-news » sur l’élection de Trump ou le Brexit. En fait il s’agit d’un jeu dangereux à effet boomrang possible, comme on l’a observé au cours de la campagne des présidentielles en France, dans la succession des accusations à l’encontre de F.Fillon et de ses dénis.
En revanche, un effet redoutable pour la démocratie est la perte de crédibilité de la parole des hommes politiques, celle des medias, celle des experts, celle des intellectuels. Un effet, à moins qu’une certaine complaisance de ces derniers soit aussi une cause de cette perte de crédibilité !
Les fausses nouvelles, comment s’en protéger ?
Du fait que les Etats sont eux-mêmes producteurs de « fake-news » ou complices (souvent par omission) il vaut mieux ne pas confier à la puissance publique le contrôle de ce qui est vrai ou faux. Le risque serait trop grand pour la liberté d’expression, la liberté d’information.
Plutôt que légiférer, il vaut mieux compter sur les parades que sont l’éducation et le journalisme authentique.
D’abord l’éducation, l’instruction. L’école a en charge la formation de l’esprit critique en général et la formation de citoyens éclairés et autonomes dans leur jugement. Toutes les disciplines scolaires contribuent à cette formation par l’apport de connaissances, et par l’entraînement au doute, au raisonnement, à l’argumentation, à la reconnaissance de l’erreur. Le développement de l’esprit critique à l’égard des medias et notamment des nouveaux medias familiers des jeunes est aujourd’hui une urgence : s’interroger sur les sources, croiser les informations, apprécier leur valeur, analyser les images, mais aussi la logique des discours. Les associations d’éducation populaire prennent toute leur part en proposant aux jeunes des situations originales pour l’investigation, le débat et la prise de responsabilités
(voir exemples présentés au cours des rencontres + exposé d'Eric Favey )
L’éducation forme les récepteurs. L’autre parade se trouve du côté des émetteurs. Le journalisme professionnel doit être défendu, avec sa déontologie, et doit pouvoir s’exercer dans le cadre de medias indépendants des pouvoirs, politiques ou économiques. Il faut de plus garantir le pluralisme des opinions. Il faut que soient préservées des sources d’information fiables par leur mode de fabrication que chacun saura reconnaître, et capables d’alerter l’opinion.
Ainsi les « fausses nouvelles », puisqu’on ne peut pas les empêcher, pourront continuer d’exister sans mettre en danger la démocratie.
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Accueil à la mairie de Clermont-Ferrand
Clôture des Rencontres
Jacques Gelly, président de l’Union Régionale des Fédérations d’œuvres Laïques (URFOL)
se félicite de la bonne participation à ces Rencontres régionales à Clermont-Fd : des délégations de 8 fédérations sur 12, 6 Cercles Condorcet représentés, plus de 100 participants inscrits et plus de 250 auditeurs pour la table ronde. Il remercie les organisateurs et les intervenants, ainsi que nos soutiens, la mairie de Clermont-Fd, l’Université Clermont-Auvergne, la Fondation A.Varenne, le Conseil départemental. Il annonce que les prochaines Rencontres régionales se tiendront à Lyon.
Une publication à venir : les actes de ces rencontres
Les interventions de la table ronde du 23 mars et les conférences de la journée d’étude du 24 mars feront l’objet d’une publication par les Presses Universitaires Blaise Pascal en partenariat avec la Fondation Alexandre Varenne, à paraître en juin 2018.
Par ailleurs, les enregistrements vidéo, réalisés par le service de diffusion de la Maison des Sciences de l’Homme, seront disponibles en ligne sur le site internet de l’Université.
Bibliographie
L’homme politique et la presse De Camille Desmoulins à Emile de Girardin
Sous la direction de Philippe Bourdin et J.C. Caron. A paraître aux PUBP en juin 2018
Les bornes de la liberté.
La tribune de la presse et la figure du notable.
Les porte-voix de la réaction catholique.
La valeur de l’information
Edwy Plenel, Ed. Don Quichotte, mars 2018
« La jeune et brève histoire de Mediapart fait partie de ces nombreuses volontés citoyennes résistant à la régression qui donne la main aux plus forts et aux plus riches, c’est-à-dire aux États qui surveillent et aux financiers qui spéculent. … »
Le complotisme : décrypter et agir
Jérôme Grondeux, Didier Desormeaux – Editions CANOPE, avril 2017
D’où vient le complotisme ?
Comment fonctionne-t-il ?
Que peut l’école face à lui ?