A propos du vote FN – Quand un danger en cache un autre…

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Loin de nier le danger que représenterait un succès électoral du Front National et même seulement une progression de son audience dans l’opinion publique avec ses idées xénophobes et nationalistes, nous devons aussi regarder lucidement la réalité, estimer le risque, et éviter que cette peur nous masque l’autre danger, qui augmente le risque du danger précédent, et qui est le danger d’un fonctionnement purement formel du système démocratique sans choix possible entre de véritables alternatives pour l’avenir, et sans adhésion au projet des élus quels qu’ils soient.

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Un constat désolant

1) Les élections régionales ont été l’occasion d’une grande mise en scène médiatique du FN,

-avant : déplacement du thème de la campagne vers les thèmes du FN et disqualification des thèmes porteurs de revendications populaires non satisfaites par les gouvernements (dits populistes)  ;

-entre deux tours : sur-valorisation des scores électoraux et état d’alerte anti-FN

-après : sur-valorisation des scores et institutionnalisation du FN comme 3ème force politique respectueuse du jeu démocratique, et incompatible avec les deux autres car nationaliste (refus de l’Europe) quand les deux autres sont pro-européennes patriotiques

2) Ce qui est vrai bien sûr :

-le FN a réalisé des succès électoraux : des scores et des élus ;

-toute voix pour l’extrême droite est une voix de trop !

3) Mais ce qui est vrai aussi :

-les partis « de gouvernement » sont désavoués ;

-la gauche « non PS » disparaît du paysage électoral tout en restant force d’appoint pour le PS

Des interprétations trop souvent tendancieuses

La plupart des commentaires ont suggéré sur la base des résultats en pourcentages des votants, et de sondages sur les intentions d’avant premier tour, des tendances générales de l’opinion qui, du fait du taux élevé d’abstentions ne sont que des hypothèses. Plusieurs observations permettent de relativiser :

>au 1er tour des Régionales 2015, le FN recueille, suivant les régions, entre 8% et 21%, et près de 14,5% nationalement. Sachant le degré de mécontentement social, le contexte d’inquiétude maximale, et le battage médiatique, cela ne fait pas une montée spectaculaire ! Les gains élevés sont de plus localisés dans des régions à fort taux de chômage avec candidats FN très médiatisés.

>dans toutes les élections de la Vème République qui en ont permis l’expression, l’électorat du FN (de l’extr. droite) représente environ 12% de l’électorat ; avec un maximum à 14% (Cf tableau en annexe).

>les « jeunes 18-35» et « les ouvriers » auraient voté massivement FN…

C’est l’exploitation d’un sondage Ipsos1 réalisé avant le 1er tour, sur les intentions de vote : 1/3 des jeunes et 1/3 des ouvriers déclarent une préférence FN (ce qu’ils justifient massivement dans un sondage Ifop2 par leurs inquiétudes sur l’emploi et l’avenir et pas par la peur de l’Europe ou de l’immigré). Or seulement 1/3 des « jeunes »  et 1/3 des « ouvriers » ont voté. Donc le vote FN effectif de ces catégories ne dépasserait pas 11% ! tandis qu’en moyenne l’intention est plus faible mais le vote réel supérieur (14,5%) !

>Le Monde fait état d’une progression du FN en voix de 1million entre 1984 et 2015 sans remarquer que l’électorat a augmenté de 10 millions !

En conclusion, il faut se méfier de la manipulation permise par le choix des « chiffres » utilisés. Les données disponibles ne permettent pas d’affirmer :

-que les idées du FN progressent dans l’opinion ;

-que son électorat a fortement augmenté ;

-que les jeunes et les classes populaires votent FN

Ces données ne sont évidemment pas non plus une preuve du contraire, compte-tenu de   l’incertitude sur le vote potentiel des abstentionnistes…

Le succès du FN reste limité et il est essentiellement le résultat de l’abstention, de la désaffection des partis « de gouvernement », et des règles électorales

Notre démocratie est en péril

Tenter de « faire peur » avec une prétendue « montée du FN », c’est risquer

-d’accorder de la crédibilité aux thèmes du FN et contribuer à les populariser ;

-de désigner comme responsables des maux ceux que le FN stigmatise ;

-de montrer du doigt ceux qui sont suspectés d’être de « nouveaux électeurs » du FN ;

-de préparer un « vote contre » par un aveu public de faiblesse ;

C’est aussi

-détourner l’attention des véritables enjeux qui préoccupent la masse des Français (emploi, perspectives d’avenir)  ;

-réduire la politique à de la tactique électorale : quelles alliances et quels bricolages programmatiques faut-il faire pour être le challenger du FN à la prochaine élection, et conduisant même à s’emparer de ses thèmes en d’autres temps combattus !

C’est dénaturer la démocratie :

-en supprimant la possibilité d’émergence d’autres véritables alternatives ;

-en acceptant d’être gouvernés par des pouvoirs élus avec moins de 20% d’adhésion réelle ;

-en renforçant l’idée que, de toutes façons « il y aura alliance contre le FN » et qu’« ils feront la même politique » ;

Et c’est donc offrir l’image du « système » que refuse une large partie de l’opinion et que fustige le FN à son profit.

 

Et c’est au final augmenter le risque d’un danger dont on prétend vouloir nous prémunir.

Pour notre République,

le FN est un danger qui exige toute notre vigilance,

mais l’altération de la démocratie est l’autre danger dont le risque est devenu très fort !

Il n’est donc de solution que dans la mise en chantier d’une politique correspondant à l’aspiration d’une large proportion de l’opinion. Et dans une évolution institutionnelle qui permette de combattre les vices du « système » et garantisse mieux la fidélité aux programmes annoncés, le renouvellement de la classe politique, l’honnêteté intellectuelle et la probité des élus, … (3)

 

Annexe : Résultats des élections pendant la 5ème République

Resultats-Elections

 

 

 

 

 

Références

1 Sociologie de l’électorat et profil des abstentionnistes – Ipsos – Sondage réalisé entre le 28 nov et le 4 dec 2015

2 Les jeunes, les élections régionales de 2015 et l’élection présidentielle de 2017 – Ifop – Sondage réalisé courant nov 2015

3 Le bon gouvernement Pierre Rosanvallon, aout 2015

Post-scriptum

Pour citer Jean-Claude Guillebaud, dans son billet « Tant de bavardage pour rien » Téléobs du 7 janvier 2016

« Rien de plus périssable, en effet que les commentaires « éjaculés » dans l’instant. Et jetés aux quatre vents  […] Prenez l’actualité la plus lourde, qui nous obsède ces derniers temps : la présidentielle 2017. A-t-on remarqué qu’après avoir annoncé, pendant des mois, avec un bel ensemble une victoire (au premier tour) de Marine Le Pen, les commentaires commencent à virer lof pour lof ? Chacun paraît se rendre compte que les français n’ont pas encore voté, qu’en trois mots rien n’était joué. La tonalité des commentaires, insidieusement, est déjà en train de changer. […] On nous rappelle aujourd’hui qu’il n’en est rien. Et l’on nous explique doctement pourquoi. »